Ah putain !
La merde s'accumulait, flot grandissant menaçant de m'ensevelir. Si j'en fais trop ? Mais regardez-moi ! Pas une journuitée sans une catastrophe ! De plus, j'étais totalement déphasée. Dans la Ville-Haute, je m'étais rapidement habituée à dormir la nuit et vivre de jour, même si le soleil me pétait toujours joliment la rétine. Mais avec mes excursions dans la Ville-Basse, que je ne pouvais faire que de nuit pour des raisons évidentes... Me voilà à ne pas vraiment dormir. D'ailleurs, j'avais du mal à trouver le sommeil, du coup, dormir, ouais, ça passait complétement au tierce plan.
A cause de ce manque de sommeil, peut-être, je devenais irascible. J'avais passé la nuit d'avant à me battre dans le quartier des naissances, la journée suivante à jouer à la princesse comblée d'obligations sociétales, et cette nuit venait de s'écouler...
A chercher le Renard.

Il avait disparu, complétement, depuis plusieurs semaines déjà et craindre le pire m'agaçait. Je ne pouvais définitivement pas le ravitailler s'il n'était plus au point de rendez-vous et sans moi, je ne doutais pas qu'il allait crever de soif. Puis il avait le chic pour se fourrer dans les embrouilles. J'étais certaine qu'il lui était arrivé quelque chose.
Parce que je ne peux pas passer mes nuits à le rechercher dans la Ville-Basse -j'ai encore besoin de ma réputation pour le moment- je devais limiter mes temps de recherches. Mais j'avais été tellement occupée que cette nuit se devait d'être une nuit 'je tente de retrouver l'abruti'. Quitte à protéger un tantinet les apparences, j'avais demandé à trois de mes gardes -les plus fidèles- de m'escorter. Ils me suivaient au taquet et éloignaient les quémandeurs qui m'auraient collés un peu trop aux basques. J'avais commis quelques erreurs au palais et m'étais attiré la sympathie de beaucoup trop d'esclaves. Maintenant, ces derniers croyaient que j'étais là pour résoudre leurs problèmes. Bordel, mais si t'es pas content de ta vie, prend un couteau et plante ton soucis. Je suis pas ta mère, quoi !

Cette réputation à laquelle je n'étais pas du tout habituée s'était étendue à la Ville-Basse. Déjà qu'un richard normal se fait harceler... Autant dire qu'il y en avait au loin qui calquaient leurs pas sur les miens dans l'espoir que je leur offre un sac d'or.
Urgh.

Bref, la nuit de recherches n'avait rien donnée. J'étais frustrée au possible, Mainate était toujours dans un état lamentable, blessé habilement depuis cette nuit d'avant, justement, mes gardes n'étaient pas de grande conversation et ma dernière concubine avait été tuée 'accidentellement' par ma sœur ainée. Parlons de voler les affaires des autres...

Ouais, mon harem se faisait petit. C'était pas vraiment que j'en prenais pas soin... En vrai, j'étais prête à parier que j'étais celle qui prenait le plus soin de ses esclaves dans cette fratrie d'arriérés. Mais une épidémie d'une maladie que je ne connaissais pas à emporté une partie des organiques. La sœur ainée à fait le reste.
J'ai toujours haïe les sœurs ainées.

Bon. Quitte à s'énerver toute seule et maudire la nuit de ma venue au monde... Autant passer par le marché avant de rentrer, hein ? Faire les courses, tout ça... Se changer les idées, surtout. Ouais, se changer les idées. Ça pourrait m'éviter de tuer une certaine sœur ainée...
Bordel de merde.

Le marché principal était loin. J'avais, entre nous, peu de courage pour marcher aussi loin alors que l'aube n'allait pas tarder à poindre. J'voulais prendre de quoi m'délasser, rentrer, et pis c'est tout. Qu'importe le sexe, l'âge ou l'apparence. J'allais prendre le premier venu et...
L'un de mes gardes attrapa mon bras. Je m'arrêtais, haussant un sourcil.
'Ils en vendent ici, par exemple.' Surement parce que je suis dans cet état lamentable qui vous donne l'impression que toutes les emmerdes du monde vous sont tombées sur le coin de la gueule, je mets du temps avant de capter. 'Ah, merde.' Que j'lui réponds. On entre dans un genre de taudis à la porte fermée par un rideau. Dedans, ça ne sent pas le luxe. Après, c'est toujours plus propre que le reste de la Ville-Basse. Je parcoure rapidement les marchandises du regard. Il y en a quelques unes, entassées. Pas vraiment de garçons. Tant pis, c'est l'destin qui décide.
C'est leurs expressions que je scrute. Il y en a bien une qui sort de l'ordinaire, non ? Pas qu'une fade ne serait pas à mon goût mais... J'crois que j'aime bien chercher les embrouilles, en fait. P'tet que j'ai besoin d'en rajouter à tout ça. P'tet que je suis masochiste.

Y'a une marchande qui s'est bien trop vite approchée de moi. Là, elle discute avec mes gardes. J'vais pas m'abaisser à lui taper la causette non plus. D'habitude, ce sont les serviteurs qui font ce genre d'achats. Les esclaves remontent ensuite jusqu'au palais, où ils sont présentés à la famille monacale. On assiste alors à de sacrées scènes de dispute entre les membres de la fratrie. Ceux qui ne sont pas satisfaits iront de toute manière piller les harems des autres par la suite.
Du coup, me voir là, oui, forcément, la nana s'y attendait pas trop. Je la laisse blablater avec deux de mes trois gardes. Le troisième me suit, pas con qu'il est. Je fais le tour. Y'a pas tellement de choix. Elles sont jolies. Elles ont l'air cruches. Est-ce qu'il y en aurait une futée là-dedans ? Urgh.
Y'en a une qui est bien habillée. J'sais pas si elle est futée, mais elle devait sortir d'une grande famille.

' Hé. ' Que je l'interpelle. Et là; c'est le drame. Chuis un peu à cours de répartie. J'hésite entre balancer un gros truc bien con ou faire un trait d'esprit. Je suppose que mon esprit exténué manque d'affutage. Ah la misère ! Pour éviter le gros silence, mieux vaut balancer un truc en vitesse. ' T'as dû te casser une aile, en tombant du paradis. ' Va pour le truc con. Pis c'est pas totalement perdu; j'ai mon garde qui pouffe. J'en aurais au moins fait sourire un.

Le moment où elle alla ouvrir sa bouche fut le moment le plus chargé en suspense de la nuit. Pitié pas une niaise, pitié pas une niaise, pitié...

<< Serez vous ma nouvelle maîtresse ? >>

Hum. Avec la petite révérence et tout, ça puait l'étiquette. L'étiquette et moi, ça fait quarante deux mais c'est toujours cool de la respecter au début... J'suppose. Question de respect et tout ça. La blague ! J'en ait pas moi-même du respect et encore moins pour ma personne.
Urgh. Pourquoi avec les femmes, c'est direct s'engager ? Sérieusement ? T'aurais pu, chais pas, me demander si j'allais te sortir de cette baraque et j't'aurais répondu oui. Mais je me sens pas encore assez prête pour te mettre la chaîne au cou, désolée. J'pense que j'ai besoin de temps, qu'on a besoin de voir du monde et...

<< Aucune idée, princesse, mais j'pense que j'vais déjà te sortir d'ici. >> Le ton, il est las. Parce qu'ici ça pue, c'est dégueu et j'ai envie de me mettre à l'abri du soleil. Tu m'as pas impressionnée, fillette, t'aurais vraiment pu balancer une vanne ou quelque chose. Mais j'crois que j'étais un peu trop directe avec elle car elle me semblait décontenancée. << T'es déjà allée dans la Ville-Haute ? >> J'avais fait quelques pas plus loin, déjà prête à sortir vu que l'un des gardes avait déjà payé l'un des marchands. Voyant qu'elle ne me suivais pas assez vite, j'attrapais son bras et la tirait vers dehors. Une fois à l'extérieur, les trois gardes qui suivaient de près, je m'étirais en prenant le chemin de la Ville-Haute. << Pardon me, ma demoiselle, mais je suis pressée de rentrer. >> Vraiment pas envie de cramer au soleil. Du coup, eh bien, j'marchais. Je jetais de temps à autre un regard à la fille, histoire de voir si elle suivait, si elle avait détalé, si elle galérait à suivre ou si elle était tombée raide morte un peu plus loin. << Au fait, tu as un prénom, une vie, des aspirations, une envie de faire pipi ? >> J'avais beau trotter vivement, il me restait du souffle pour causer. Et une fois que nous serions dans la Ville-Haute, j'aurais probablement la flemme de lancer la conversation.
Car il faisait beaucoup trop chaud, je défaisais une partie de mon col fermé. Cela révéla un morceau des bandages qui me bouffaient le torse. Ce torse, justement, s'était fait bouffé la veille par un lycan pas content. La chair galérait à cicatriser, probablement car je manquais de serviteurs à qui piquer du sang, et que des morceaux de bidoches en moins, ça se régénère pas en un claquement de doigt. Heureusement, enfin, dans un certain angle, j'avais la tronche qui tenait encore la route malgré quelques cicatrices ici et là qui disparaissaient en temps réel. Le p'tit trou dans la gorge s'était déjà refermé depuis des lustres et j'en avais recraché la balle. Néanmoins, les mouvements piquaient toujours. J'étais pas à l'aise en bougeant et ça devait se voir. P'tet aussi pour cela que mes gardes étaient sur le qui vive. Non, mais sérieusement, vous les avez vu ? On croirait qu'ils se pensaient dans un film d'espionnage ! Il manque que la musique thème ! << Hé, les gars ! leur lançais-je Calmez-vous, c'est pas comme s'il allait nous arriver quelque chose entre ici et la baraque. >> J'aurais p'tet pas dû dire ça. C'est toujours dans ce genre de circonstances qu'il arrive une couille.

<< Non, jamais, mais je suis assez curieuse de découvrir comment c'est... >> Uh, ça allait la changer, c'était certain. << Ashara est mon prénom~ Une vie ? Une vie d'esclave... Des aspirations ? Peut être avoir une vie meilleure je dirais ? >> Bordel qu'elle était ennuyeuse ! J'espérais sincèrement qu'elle ne me dise pas la vérité.

<< Il va falloir sérieusement te remuer si tu veux une meilleure vie. Y'a peu de monde ici qui frappent dans le genre bonne fée. >> Merci l'évidence. Mais il fallait bien combler les trous dans la conversation. << Trahir, tuer, semer la zizanie... Ouais, y'a que ce genre de choses qui... Marchent. >> C'était le moment où je commençais à remarquer l'agitation des gars.

<< Et vous, qui êtes vous ? >>
<< J'me fais appeler Kiuun. Et tutoie-moi, bordel. >> Ma voix résonnait plus doucement, je tendais l'oreille et mon nez remuait à la recherche d'une odeur inhabituelle. Il n'y en avait pas de vivante, pas le moindre petit signe de transpiration, de crasse, de pisse ou quoique ce soit qui laisserait transparaître que nous étions suivis, mais ça sentait le plastique.

<< Comment est la Ville-Haute ? >>
<< Climatisation dans les rues, fontaines, verdure et autres excentricités du genre. >> Ce coup-ci, je fixais vraiment les toits. On me l'avait assez faite pour que je ne me fasses pas avoir aussi facilement. << Ils sont mal tombés, eux. >> C'est vrai qu'ils n'étaient pas encore tombés. On était épiés et le temps que je prévienne mes hommes d'un << C'est en haut que ça se passe. >> l'un avait déjà sauté pour nous rejoindre. Elle était armée d'un large sabre et donnait l'impression de s'en servir avec habileté. Mais je crois qu'elle avait un peu sous-estimé notre niveau. Je n'allais pas engager n'importe qui pour ma sécurité. Fallait-il me croire stupide pour penser telle ignominie !

Du coup, c'est en quelques minutes, deux, pour être précise, que mes gardes, l'ayant encerclée sinon l'un qui restait près de moi et de l'esclave dont j'avais oublié le nom, la mirent hors d'état de nuire. L'arme confisquée, la voilà qui se débat, maintenue. Durant ce temps, l'autre qui visait bien n'avait cessé d'attaquer, lançant masse de dagues du haut de son coin. Une m'étais tombée dessus et je n'avais pas réussi à l'esquiver, ne pouvant que me protéger avec mon avant-bras. J'avais laissé la lame plantée dedans histoire d'éviter une hémorragie -je manquais déjà de sang-. Un de mes gardes avant eu moins de chance et s'en était prise une en plein crâne. Forcément, il tenait moins bien la route mais il était encore debout. Pendant combien de temps, ça, je l'ignorais.

<< Bon, bah. C'était stupide de votre part. >> Dis-je à la capturée.
<< On l'emmène à la salle des tortures pour l'interroger ? >> Demanda le type qui galérait à tenir la harpie.
<< Bah non. Tu l'emmènes dans un coin discret et je l'interrogerais moi-même. Sinon tout le palais va être au courant. >> Et c'était pas trop dans mon intérêt. Du coup, la mauvaise nouvelle c'était que le soleil était à deux doigts de se lever mais la bonne était qu'on était pas loin de la porte. Mon garde avec la dague en plein crâne s'effondra par terre et on le laissa là pour franchir, avec l'autorisation des soldats qui la gardaient, l'entrée de la Ville-Haute.
J'avais laissé le second de mes gardes pour emmener la captive en lieu sûr. Il n'en restait plus qu'un à nos côtés, un albinos qui cachait maladroitement sa touffe sous un foulard.

Une fois à l'abri dans le dôme, je me sentais déjà un peu plus à l'aise. J'étais vraiment loin d'avoir envie de cramer et la sécurité me permis de me détendre. Je me retournais vers la grande porte encore ouverte, m'attendant presque à ce que la deuxième assaillante surgisse.
<< Non, sans déconner, 'une vie meilleure', c'est tout ce que t'es capable de me servir ? Ta liberté, une famille, une position sociable voir même le contrôle de la Ville, ça te tente pas ? Tu vas pas me faire croire que t'es sans rêves ? T'as même pas envie de te venger ou quelque chose ? >> Oui, j'étais irrespectueuse. Ouais, je l'assumai. Je n'étais pas une gentille et je n'avais aucune raison de la brosser dans le sens du poil. Qu'elle s'énerve, qu'elle se rebelle ! C'était du caractère que je cherchai. Certes, mon harem est vide, mais, entre nous, mon harem est chiant. Si je pouvais trouver ne serai-ce qu'une raison pour éviter de l'enfermer là-dedans, ça ferait avancer les choses. << Tu veux apprendre à te battre ? >>

Nous traversions la ville alors que je trainais les pieds. Je n'avais, honnêtement, aucune envie de rentrer. Cela allait de plus en plus mal avec les ainés de la fratrie et je ne savais combien de temps j'allais supporter ces imbécilités. A la place, je profitais du décor, du soleil qui frappait sur le dôme, éclairant la Ville-Haute sans me brûler vive. De vieux réflexes étaient toujours présents et si, par conséquent, je ne me sentais pas tout à fait à mon aise dans la lumière, du moins en profitais-je.

<< Dès demain, nous commencerons l'entrainement. Crois-le si tu veux, mais je me débrouille pas mal à l'épée. Ah, ça ne te dérange pas d'apprendre le combat à l'épée ? Tu veux apprendre une autre manière de te battre ? >> J'étais moins bonne au lancé. Le corps à corps... C'était vraiment là que j'excellais mais bon, laissons-la choisir. Ça n'est pas moi qui apprend à me battre. << En attendant, tu peux déjà réfléchir à ce que tu veux en petit déjeuner. Tu pourras dormir ensuite. Je te laisse mon lit, j'ai encore des choses à faire. >> Ça m'énervais de parler autant, j'aurais aimé qu'elle ait un peu plus de répondant. Mais je suppose qu'il faut bien une période d'acclimatation. Qui sait ? D'ici quelques nuits, elle sera peut-être beaucoup plus bavarde.
Quant au lit, honnêtement... J'ai déjà été attaquée dans mon plumard, ce qui fait que je n'aime pas y dormir. Elle servira de diversion et si elle se fait tuer, ça veut dire qu'il y a quelqu'un dans la baraque qui est potentiellement un danger pour ma poire. Quant à ce que j'ai à faire... Autant s'occuper immédiatement de la bougresse capturée. Elle appartenait certainement au trafic éventré la nuit dernière, mais je n'y croyais pas entièrement: mes gardes en avaient nettoyés les membres. Ils étaient censés être tous cannés. Non, si ça se trouve, elle appartenait à une sorte de rébellion et je n'étais même pas au courant qu'elle existait. Autant dire que tout cela pouvait être plutôt marrant.

<< 'Suivante', ça te va comme titre ? Tu pourras avoir des esclaves. Bien entendu, si tu veux te barrer, fais-le. Tu perdrais ton temps à attendre que je te laisse sans surveillance et tu me ferais perdre le mien. >> Hé, pourquoi pas ! J'allais voir s'il y avait vraiment un truc derrière cette fille. S'il y avait du caractère. Et pour cela, croyez-moi, rien de mieux que de tester les gens.

Nous marchions dans la ville, sous les rayons solaires qui ne nous brûlaient pas, contrairement à la Ville-Basse. J'écoutais attentivement ce que me disait Kiuun. Apprendre à me battre à l'épée ? Pourquoi pas, ça peut toujours être sympa d'éventrer les autres~

Le combat à l'épée me convient parfaitement... Tu vas faire quoi après ?

Sans doute impertinent, mais je ne pouvais empêcher ma curiosité d'être là. Sans doute quelque chose en lien avec la fille qui nous a attaqué.

Sincèrement, je préférerais que tu m’appelles par mon prénom que par un titre... Avoir des esclaves ? Hummmm, pourquoi pas~ Et partir pour aller où, retourner dans cette grande salle puante ? Non merci ça ira~

Je souriais déjà à l'idée d'avoir mes propres esclaves. Les rôles s'inversaient, et j'allais pouvoir en disposer librement~ J'observais le paysage qui nous entourait, qui était bien plus chaleureux que celui de la Ville-Basse. N'étant pas habituée, je regardais de façon presque enfantine, mes oreilles tendues vers l'avant, écoutant le moindre sons. Les voix des personnes aux alentours me parvenaient très clairement. La moindre odeur me chatouillait les narines de façon délicieuse, à la limite de la provocation, me rappelant que je n'avais encore rien mangé aujourd'hui.

D'ailleurs, je commence à avoir faim, qu'y a t il à manger ?

Je plantais alors mes prunelles rouges dans les yeux de la femme aux cheveux rouges, un air de défi sur le visage.