On se rapprochait du Jour le Plus Froid de l'Année. Cela ne voulait pas dire grand chose pour la Ville-Haute, mais les célébrations étaient nationales. Les décorations s'installaient dans les rues, des guirlandes de gouttes de pluie faites de verre étaient suspendues dans les ruelles. Des statues imitant des fontaines prises dans la glace se sculptaient. Les gens prenaient un châle de dentelle sur leurs épaules pour sortir. Il y avait de la musique douce, un peu comme celles des boîtes à musique, qui était jouée lorsqu'on passait près de la place des fêtes.

Tout s'organisait lentement. Il y aura de l'alcool, il y aura des danses. Il y aura des masques et lors d'un jour, le petit peuple pourra valser avec le grand. Le thème sera au déguisement. Les couleurs des tenues seront vives à en brûler la rétine, des Ridicules, c'est à dire des comiques, des clowns, seront lâchés parmi la place.
On abandonnera la propreté immaculée pour cette journée. Les gens feront ce qui leur plait et la fin de la soirée se terminera certainement par des coucheries. C'était un jour de fête, où la fraîcheur viendra tout droit de l'extérieur et non des immenses canalisations de climatisations parcourant la Ville-Haute. Le froid créera l’effervescence.

Ce n'était pas un jour pour lui plaire. Pas plus qu'un autre jour, très certainement. Il n'était pas mélancolique, il était réaliste. Son éternité n'était peut-être pas la meilleure idée qui fût. Triste, désabusé de son vivant, il avait tenté de redresser la barre par la suite. Il avait tout fait pour être heureux, du moins le pensait-il. Qu'était-il alors arrivé sinon la dépression et la folie ?
Il n'était pas seul. Ici, il avait du monde à ses côtés. Alors pourquoi se sentait-il si mal ? N'était-ce qu'une impression passagère ou la prémonition d'une blessure nouvelle ? S'attachant, cherchant à aimer, il craignait la chute. Car qui pouvait s'attacher à une horreur comme lui ?
Et il voyait les jours défiler. Et il voyait les nuits s'achever, prenant doucement conscience que ce cycle pouvait ne jamais avoir de fin. Cela faisait maintenant deux semaines qu'il avait rencontré cette fille.

Elle vivait désormais dans la Cathédrale, rendue plus ou moins en l'état d'après la promesse de la princesse. Elle disait l'aimer et elle disait avoir besoin de lui. Et lui l'aimait à la folie.
Cela le terrifiait.
Rien ne l'avait jamais autant terrifié. L'espoir est cruel quand on n'a pas le droit d'y croire. Et pourtant.
La voir était un besoin plus gargantuesque que fut celui de respirer. Chaque seconde passée loin d'elle l'écharpait. Chaque geste, chaque regard de la part de cette créature le charmait et s'imprégnait dans ses pensées pour ne plus y laisser qu'elle. Il savait qu'il s'y perdait et il savait qu'elle ne l'aimait probablement pas. Mais il avait là l'envie d'y croire et ne pouvait plus faire autrement. Les poings liés plus sèchement que s'il s'était agit de chaînes, il se retrouvait esclave d'une fille qui lui réclamait services après services.

S'amusait-elle de lui ? Lorsqu'il tournait le dos, il était certain d'entendre des moqueries. Il la voyait dans le noir, ce visage sublime empreint d'un air tout autre... Il était déjà tombé aussi bas mais la réponse à ses questions l'obsédait. Car depuis deux semaines qu'il l'aimait, il souhaitait la garder à jamais près de lui. Mais jamais ce dernier n'oserait.
Alors il continuait à lui obéir, espérant solidifier par ce biais leur relation. Espérant qu'elle finisse par lui faire assez confiance pour lui dire la vérité.

La vérité, elle la cherchait elle-aussi. Ses questions se faisaient de plus en plus précises, insistantes et il peinait à les éluder. Que voulait-elle, tout savoir ? Il y avait bien plus en jeu que ce qu'elle croyait. Peut-être l'avait-elle envisagé. Le sous-estimait-elle ? Mais elle réclamait sa sœur.

Il avait bien tenté les négociations auprès de la princesse mais cette dernière avait reporté plusieurs fois la conversation. Elle avait terminé par un soupir, lui soufflant d'apprendre à 'se débrouiller seul s'il avait besoin de quelque chose'. Il était donc allé chercher de lui-même la demoiselle.
Voyez-vous, il n'avait rien contre les jolies filles sinon qu'elles lui faisaient peur. Plus elles étaient belles, moins il était quelque chose. Et que cela soit Hekto ou sa sœur, toutes les deux étaient magnifiques. C'était normal, lui avait soufflé Réelle. 'Elles ont étés crées pour ça.' Cela n'allait pas pour le faire aller mieux. Pourquoi avait-il été crée, lui ?

On était maintenant la veille du Jour le Plus Froid. Les gens s'affairaient, même au palais. Imperatur ne sera pas présent mais la famille monacale, si. Certains de ses membres rechignaient à l'idée de se mêler au peuple mais d'autres s'extasiaient à l'idée de se travestir, de se déguiser en quelqu'un qu'ils n'étaient plus. Nul doute que tout le château sera occupé. De quoi ravir une demoiselle. Elle aura jusqu'à la fin de la fête avant qu'on ne la recherche. Il lui suffira d'être rentrée à minuit du jour suivant.

Fouillant les couloirs du château, Mainate croisa de nombreuses sœurs mais aucune ne correspondant à la description donnée. Il peina car le château était grand mais ne renonça pas: Il faisait ça pour sa belle. Il n'était pas du genre à dénier un service aussi important. Très certainement que s'il avait eu une sœur, il aurait aussi tout fait pour elle.
C'est de cette façon qu'au détour d'un tournant, il heurta de plein fouet... Quelque chose. Un écho métallique retenti alors qu'il récupéra tout juste son équilibre.

Trouvée ! Il se releva en premier, par réflexe et eut quelques instants d'hésitation, ne sachant comment procéder. Lui qui avait déjà du mal question intéractions sociales, avoir affaire à quelqu'un ne voyant pas n'arrangeait pas les choses.

<< Désolé pour le choc. >> Il sourit, un peu embarrassé. << Et pour le cliché de la rencontre. Je m'appelle Mainate et là, j'vais t'aider à te relever, prête ? >> Il lui attrapa les mains sans prévenir plus amplement et tira de toutes ses forces. Il eut tout de même du mal à la redresser, ne s'attendant pas à un tel poids. << Excuse-moi, je te cherchais, justement. Rien de cassé ? >> Il avait une voix claire de jeune garçon. Trop vive pour son âge, lui qui était majeure. Il parlait vite, aussi, et ses mots se mélangeaient parfois dans de laids amalgames. Il ne maîtrisait en aucun cas la langue et utilisait souvent les mauvais termes. Son accent, de surcroit, était terrible. << C'est ta soeur qui m'envoie. >> Il parlait moins fort mais ne chuchota pas. A vrai dire, cela semblait évident que le vampire n'avait peur de personne. Il assumait totalement ce qu'il faisait et pour cause; on lui en avait donné la permission. << Tout le monde s'affaire aux préparatifs de la fête de demain et du coup, personne pour remarquer ton absence jusqu'à après-demain. Je vais t'accompagner en ville où elle t'attends déjà. Enfin, si tu es d'accord. >>

Elle ne le voyait pas. C'était un soulagement, vraiment. Lui qui n'était jamais à l'aise face au regard des autres pouvait lui faire face sans crainte. Elle ne savait pas pour ses crocs saillants, elle ne savait pas pour son nez hideux ou encore ses petits yeux maladifs. Elle n'avait aucune idée de la difformité des os de sa mâchoire et qu'une vague sensation d'à quel point ses doigts étaient anormaux. Il était là, devant elle, et elle n'avait pas cette grimace écœurée. De sa main gauche, il s'agrippa le bras droit dans un mouvement protecteur. Uh, pas totalement à l'aise tout de même. Mais plus qu'avec le reste du monde. Il affichait cet air gêné.

<< J'espère qu'on pourra s'entendre. J'm'entends très bien avec ta sœur ! >> Mais il espérait un peu trop, aussi. Que la fille ne soit pas trop méchante serait déjà un bon départ. Il n'avait pas tellement envie de se faire insulter et supporterait mal de se faire agresser. A l'heure actuelle, Mainate était bien trop perdu pour rester droit s'il ne savait pas comment réagir. Il ne saurait finalement que fondre en larmes et il n'avait pas du tout, du tout, envie d'avoir envie de pleurer.