Sur la table de l'infirmier, Igor regardait son bras se faire remettre en place dans une grimace. L'infirmier appliqua ensuite un baume puis recouvrit le tout de bandages. L'âne soupira. Décidément. Il ne pouvait passer une semaine tranquille sans qu'il ne lui arrive rien. Reportant son attention vers la jeune fille, il se senti désolé pour elle. Elle devait se sentir bien mal.

'Ce n'est pas de votre faute.' Il n'était pas fâché. Sa voix, d'ailleurs, était chaleureuse et rassurante. Il avait bien eu le temps de comprendre. Elle n'était pas faite de chair et ses yeux avaient étés endommagés. Il demanda par conséquent à l'infirmier s'il n'y avait pas un moyen d'en obtenir.

'La plupart sont fait main.' Lui répondit-il. 'Les acheter, ça coûte cher. Je vais voir avec les frères ce que nous pouvons faire. Bien sûr, ça serait plus simple si elle faisait partie de la sororie.' L'âne hocha lentement la tête dans un air entendu. Mais qu'est-ce qui avait pu pousser une telle personne à se retrouver perdue sur un toit ? Ça n'était tout de même pas une tempête de sable qui l'avait amenée là !

'Vous avez quelqu'un chez qui rentrer ? De la famille ?' Des maîtres ? Il n'osa pas demander plus en avant. Il n'avait aucune idée de la caste à laquelle cette dernière appartenait mais, une chose était sûre, elle ne faisait pas partie des privilégiés. Se levant de sa table, il se posta en face d'elle, se penchant un peu pour être exactement à sa hauteur, bien que la regarder dans les yeux, il s'en rendit compte trop tard, ne servait strictement à rien. 'Qu'en pensez-vous ? Nous rejoindre ? Vous aurez tout ce dont vous avez besoin si vous prenez l'habit.'

L'heure se rappela à lui. Il grommela.
'Je suis en retard pour la leçon des princes et princesses ! Je peux vous laisser seule deux à trois heures ? Je serais de retour ensuite. Eran sera là si vous avez besoin de quoi que ce soit.' Eran était l'infirmier. Il haussa un sourcil en direction de la robot et haussa les épaules. Quel mal pouvait-elle faire en deux heures ? Elle était loin d'avoir l'air d'une tueuse en série...

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Rentrant exténué d'une leçon particulièrement épuisante, les nerfs à vif, il se sentait si mal que sa tête lui tournait, projetant devant ses yeux des lumières aveuglantes. Il ne marchait qu'à peine droit. Des sons fantômes résonnaient dans le creux de ses oreilles, les poussant à frémir à la recherche de ces voix dont il ne se rappelait que peu. Il en avait la nausée.

Il avait presque oubliée la robot. C'est Eran qui la rappela à lui, lui accordant une lourde tape sur l'épaule. Igor de sursauter, lui lançant un regard de mort. 'Ne me touche pas !'

'C'est bon, c'est bon.' Se justifia le prêtre-infirmier. 'T'as juste oublié un truc dans mon office. J'en fais quoi, moi ?' Igor soupira. Il n'avait pas la tête à agir gentiment. Faisant un lourd effort sur lui-même, il reprit son visage calme et son sourire, bien qu'un peu troublé, s'afficha à nouveau. Il rejoignit la jeune fille.

'Vous n'avez pas trouvé le temps long ? Je suis étonné que vous ayez attendue... Voulez-vous une chambre pour la nuit ?' La nuit allait en effet tomber. 'C'est l'heure du soupé, mais je ne crois pas que vous ayez besoin de manger...' La vérité était qu'il ne savait vraiment qu'en faire. Si elle décidait de les rejoindre, il lui offrirait une tenue et la confierait à une des sœurs. Si elle souhaitait partir... Eh bien, elle pouvait encore dormir la nuit ici, mais le lendemain, il faudra qu'elle déguerpisse. Il n'avait rien contre le fait qu'elle reste, pourtant. La Foi avait été son secours. Il pouvait très bien l'être aussi pour cette âme perdue. 'Vous pouvez parler librement, ce qui se dit à un prêtre demeure secret.' Il avait besoin et peur à la fois d'aller s'allonger. Mais une chose était certaine: il avait besoin d'être seul. Elle tombait on ne peut plus mal. Consciemment, il tentait d'expédier au plus vite la situation.

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Il se tenait la tête. 'Non, vous ne dérangez pas du tout mais j'ai une terrible migraine. Retrouvez-moi demain dans le confessionnal. Nous verrons ce que nous pouvons faire pour voir. Vous avez de toute évidence un problème avec l'un de vos proches mais vous n'avez pas la moindre idée d'à quel point nous avons le bras long. En échange d'un petit sacrifice, nous pourrons faire disparaitre tous vos problèmes.'

Mais elle n'était déjà plus là. Il en tremblait. Respirant plus vite et plus fort, il délaissa la pièce pour s'échapper. Il ne se rappelait plus ce qu'il avait dit à la fin, espérant quelque peu ne pas avoir dit d'absurdités. Des propos incohérents s'échappaient de sa bouche alors qu'il parcourait des couloirs. Trébuchant dans le vide, près d'une rambarde, il s'y rattrapa maladroitement et récupéra sabots au sol. Il ne reconnaissait pas les lieux mais les figures menaçantes autour de lui. Attrapant une pièce vide, il hurla alors que les murs s'écrasaient sur lui, laissant entrevoir une fournaise infernale. L'odeur des corps brûlés le suffoquait, encore plus que celui de la viande cuite, des plateaux-repas préparés dans la va-vite et la crasse. Il vomit, peut-être, car il se retrouva trempé de quelque chose d'acre. Il grelottait de froid alors que ces visages se rapprochaient. Il était glacé.
Il tenta de se défendre du mieux que possible alors que la réalité ne revenait que par à coups. Des cris tout autour de lui le terrorisaient. Il ne comprenait pas que, derrière tout cela, ses frères s'affolaient. Il en fallut plusieurs pour réussir à le maintenir alors qu'il en avaient déjà assommé quelques uns. Par chance, il n'en eut blessé aucun mais lorsqu'il reprit possession de son esprit, tout semblait brumeux et son corps était plein de sueur. Il empestait.


L'âne toussa, crachant un mélange de glaire et de salive: il s'était en partie noyé dans ses larmes. Pleurait-il encore ? C'était difficile pour lui de s'en rendre compte. Mais l'aube frappait par les vitraux. Il n'entendait plus la voix de cette femme.

Ses membres étaient blessés, ses muscles engourdis. Il tituba, manqua de tomber lorsqu'il se releva. Ses oreilles basses, collées contre son front, il attrapa tremblant l'eau dans une des écuelles et se débarbouilla le visage. Il voyait toujours flou.
Mais il se sentait, peut-être, un peu mieux.

Bien sûr, il lui fallut se laver. Ce n'était pas facile; il se sentait faible et engourdi. Il peina à se changer. Mais il repris bien vite une apparence propre et c'est seulement alors qu'il se souvint du rendez-vous donné.
Il dû se trainer jusqu'au confessionnal, ses pattes étant bien lourdes et les deux os de sa fracture de nouveau déplacés.

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Elle lui disait de telles absurdités qu'il avait vraiment du mal à les croire. Ses yeux s'écarquillèrent et il blêmissait au fur et à mesure qu'elle parlait. Il lui fallut s'assoir sur l'un des bancs de bois de la salle car ses jambes fléchissaient.

'Eh bien.' Lâchait-il après qu'elle eut fini son récit. 'En voilà une sacrée histoire.' Il releva la tête vers elle. Elle avait l'air tellement... Naïve ? Comment pouvoir déballer tout cela d'un coup ? Elle ne lui faisait pas vraiment confiance, si ? L'imbécile !
'Ta sœur a été capturée par la princesse Kiuun ?' Autant dire qu'il n'y avait pas tellement de situations. Soit la sœur en question était déjà morte, soit il valait mieux qu'elle fut morte. Le pire des cas aurait été celui où la princesse aurait réussi à la ramener dans son camp. Dans ce cas-là, il ne donnait pas cher de la demoiselle... 'Suis-moi.' Il se releva brusquement. 'Il faut agir vite.' La guidant vers une des soeurs, il chuchota quelque chose à son oreille. Elle se raidit et ramena une tenue d'apprentie-prêtresse. 'Enfile-la. Dépèche-toi.'

Il la laissa se préparer. Il n'arrivait pas à croire la situation dans laquelle il s'était mise. En la recueillant ainsi... Il s'était lui-même mis en danger mais pire; il avait mis l'Ordre en entier en danger. Il fallait rapidement jouer cartes sur table, dévoiler son jeu et espérer qu''il n'y ait pas de répercussions. Ainsi, peut-être, tout devrait bien se passer.
Bien sûr, l'âne la haïssait de le mettre ainsi dans cette position. Pour rien au monde, il n'aurait aimé revoir Kiuun plus qu'il ne le fallait. Il était horripilé à l'idée de devoir faire ce tête à tête, cette négociation qui ne lui apportera que la quiétude.
'Viens, suis-moi. Mets le capuchon sur ta tête, tu attires l'attention.' Il la fit marcher jusqu'au palais, d'un pas rapide et agacé. Ses sabots claquaient sur les dalles du chemin. Pour la robot, il avait surement un air terrible, concerné et effrayé à la fois. Il était tendu et nerveux, mais quelque part, l'on pouvait comprendre qu'il avait déjà longtemps pratiqué ce genre de schémas. Ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait pris dans une machination et ses actions étaient, sinon peu réfléchies, du moins le plus logique et cohérent possible. Cependant, elle n'était pas au palais et ils la retrouvèrent plus vite que prévu, dans les jardins.